
L'IA, un outil comme les autres ?
Ce mémoire est une réflexion à propos des intelligences artificielles génératrices d’images.
Le texte que vous trouverez ici est issu de mon mémoire de fin d’étude pour mon DN MADE (Diplôme National des Métiers d’Art et du Design, mention spectacle, spécialité costume de scène) écrit entre octobre et novembre 2022. Le mémoire était à l’origine limité à 10 000 caractères, mais ce texte a été couplé avec mon exposé oral de soutenance, il est donc légèrement plus conséquent.
Le mémoire entier au format PDF est disponible gratuitement sur ce lien :

Sommaire
2. Les outils de l’art
Les techniques et inventions dans l’art
3. Les limites de l’IA
La peur du « grand remplacement »
4. Démarche en tant que créateur de costume
Conclusion
Introduction
Depuis l’été 2022, j’ai observé des images d’un style singulier sur les réseaux, des images provenant de profils différents mais avec un style reconnaissable. Ces images étaient en réalité créées à l’aide de l’intelligence artificielle Midjourney, une IA accessible depuis un serveur Discord. Je me suis basée sur celle-ci pour mon projet mais il en existe plein d’autres comme Dall·E et Stable Diffusion.
Je me suis demandée comment l’utilisation d’un tel outil peut avoir sa place dans une démarche de création plastique, en l’occurrence, pour la création d’un costume de scène.
Pour répondre à cette question j’ai commencé par chercher l’histoire des intelligences artificielles et donc leurs définitions qui peuvent être multiples. Je me suis ensuite questionnée sur l’utilisation des nouveaux outils par les artistes, comme la photographie, puis l’arrivée du numérique dans l’art. Après avoir exploré les limites et dérives possibles des intelligences artificielles, j’explique comment je peux utiliser l’IA en tant que créateur de costume. C’est à travers le spectacle Alegría du Cirque du Soleil que j’ai choisi d’expérimenter ces nouvelles techniques.
1. Qu'est-ce qu'une IA ?
Selon le Parlement européen, l’intelligence artificielle ou IA, « désigne la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité [1]». La CNIL conclut alors « [qu’elle] n’est pas une technologie à proprement parler mais plutôt un domaine scientifique dans lequel des outils peuvent être classés lorsqu’ils respectent certains critères [2]».
Souvent, ce que l’on peut entendre par intelligence artificielle, c’est un algorithme capable d’apprendre, ce que l’on appelle alors machine learning [3]. Un algorithme est un programme ;
c’est-à-dire une suite d’instructions, comme une recette de cuisine. L’utilisateur entre des données,
les « ingrédients », et l’algorithme fournit un résultat. L’algorithme dit « intelligent » est capable d’évoluer et optimise son résultat grâce aux indications de l’utilisateur. C’est ainsi que les filtres antispam deviennent progressivement plus efficaces au fur et à mesure que l’utilisateur identifie les messages comme indésirables et aux contraires ceux qui sont prioritaires [4].
Un peu plus de 100 ans après l’écriture du premier programme informatique par Ada Lovelace en 1842, Alan Turing évoque l’intention d’apporter une forme d’intelligence aux machines dans son article Computing Machinery and Intelligence, publié en 1950. Il décrit un test connu aujourd’hui sous le nom de « Test de Turing ». Dans ce test, un sujet observe une conversation textuelle entre un humain et une machine. Il doit discerner lequel des participants est la machine, et s’il n’est pas en mesure de le faire, alors la machine a réussi le test, elle est considérée comme « intelligente ». Mais c’est en 1956 que John McCarty, mathématicien américain, crée l’expression « intelligence artificielle »

img. 1. ordinateur des années 50
© Old Visuals / Alamy Banque D’Images
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui imaginent des robots dignes des meilleures œuvres de science-fiction quand on évoque les intelligences artificielles. En réalité nous en sommes très loin, mais des algorithmes capables d’apprendre sont déjà présents autour
de nous au quotidien. Une application aussi banale que Google photo par exemple est équipée de ce type de technologie.
En effet, vous avez peut-être remarqué que l’application trie automatiquement des photos dans des dossiers comme
« selfie, architecture ou chat », et est même capable de reconnaître des visages récurrents.
En ce qui concerne les IA qui « fabriquent » des images, ce sont des algorithmes qui ont été entraînés sur des bases de données immenses afin qu’ils soient non seulement capable de reconnaître un sujet, mais aussi de recomposer une image nouvelle en piochant dans cette base de données.

img. 2. l’application Google photo capture d’écran avec photos personnelles
Remarque : pour garder la métaphore de la recette de cuisine, une base de données est l’équivalent du placard avec tous les ingrédients. Les bases de données utilisées par les IA stockent des milliers et des milliers d’images.
[1] PARLEMENT EUROPÉEN, Intelligence artificielle : définition et utilisation, 2021
[2] CNIL, Intelligence artificielle, de quoi parle-t-on ?, 2022
[3] Voir annexe, Glossaire de la CNIL « apprentissage automatique », page 38
[4] Futura Sciences, Intelligence artificielle : qu’est-ce que c’est ?, article du 13 août 2020
2. Les outils de l'art
Les inventions qui ont marqué l’art
La création et l’utilisation d’outils ont permis à l’Homme de se développer au fil des âges. Nous sommes passés du calame, un simple outil en bois taillé, à l’imprimante 3D, en passant par la camera obscura (ou chambre noire). Les grandes inventions ont rendu possible de nouvelles formes d’expression, et les artistes sont rarement unanimes concernant leur utilisation. En effet, chaque nouvel outil a son lot de détracteurs.
Quand en 2001, David Hockney, artiste anglais contemporain, affirme dans son livre Savoirs secrets que le peintre néerlandais du XVIIe siècle, Johannes Vermeer, utilisait une camera obscura pour ses tableaux, il se heurte à une vague de protestations de la part des spécialistes. Ce procédé, ancêtre de la photographie, permettait d’obtenir une projection de la lumière sur une surface plane, le peintre pouvait ensuite « décalquer » pour reproduire une scène. Un procédé considéré donc par certains comme une tricherie pour un peintre [5].

img. 3. Léonard de Vinci, Codex Atlanticus, folio 5 recto (détail), fin du XVe siècle
© Veneranda Biblioteca Ambrosiana

img. 4. Johannes Vermeer, Le soldat et la fille qui rit, 1658, Frick Collection, New York
Plus tard, au début du 19e siècle, Nicéphore Niepce et Louis Daguerre améliorent la camera obscura en y introduisant un matériau sensible à la lumière ; c’est l’invention du daguerréotype puis de la photographie. Une révolution dans le monde de l’art, bien que Louis Daguerre ait présenté son invention à l’académie des sciences et non pas celle des beaux-arts !
Dès sa création, s’est rapidement posée la question : la photographie signe-t-elle la mort de l’art ?
Alors que beaucoup d’artistes peintres ou illustrateurs ont eu peur de perdre leur travail, d’autres, comme Paul Delaroche et Eugène Delacroix, y voient un outil d’étude, qui va au contraire leur faciliter le travail en atelier. C’est donc autant un nouveau moyen d’expression que d’expérimentation [6].
Cette invention qui a marqué le XIXe siècle a dû attendre le XXe pour être considérée comme un art à part entière. La photographie a aujourd’hui envahie notre quotidien, elle est tantôt rangée dans le 3e art, avec les arts visuels, tantôt dans le 7e art aux côtés du cinéma. Aujourd’hui, on compte parfois 8 ou 9 arts différents, le dernier étant les jeux vidéo, qui pourraient être classés dans une catégorie plus large : les « arts interactifs ».

img. 5. Nicéphore Niepce, Vue depuis la fenêtre à Gras,
1827 © PVDE / Bridgeman Images

img. 6. Louis Daguerre, Boulevard du Temple, Paris,
le premier Daguerréotype, 1838
[5] Beaux Arts, La camera obscura : le secret de Vermeer ?, 2019
[6] Beaux Arts, Aux origines de la photographie : une folle course à l’innovation, 2020
Le numérique et les artistes
Chaque outil, chaque médium, a sa propre esthétique, et est parfois à l’origine d’un mouvement artistique. Un dessin au fusain, une peinture à l’huile, une toile en dripping de Jackson Pollock, sont des techniques qui offrent des styles très différents. Les techniques peuvent aussi interférer avec les moyens de diffusion des œuvres, notamment leur reproductibilité, comme la sérigraphie, le pochoir ou encore le collage (nous pouvons citer des artistes comme Andy Warhol, Banksy, Ernest Pignon-Ernest).
Alors qu’en est-il du numérique ?
L’art numérique se développe dès les débuts des inventions numériques, c’est-à-dire depuis le début des années 1960. En effet, le premier logiciel de CAO et DAO [7] est SketchPad créé en 1963. Avant le numérique comme nous le connaissons aujourd’hui, les premières images graphiques générées par ordinateur sont réalisées dans les années 50 par Benjamin Francis Laposky, mathématicien américain, considéré comme pionnier de l’art généré par ordinateur [8]. C’est en 1952, qu’il crée les premières images sur des ordinateurs analogiques. Au début expérimentations scientifique, ces images deviennent des œuvres lorsqu’il en expose une cinquantaine nommées « Oscillons » (ou oscillogrammes) au Sanford Museum de Cherokee (Iowa) en 1953.

Sketchpad, logiciel de CAO / DAO
1963

img. 7. Ben F. Laposky avec un oscilloscope, sans date

img. 8. OscilIon 1049, Ben F. Laposky, 1960
© SIGGRAPH

img. 9. Oscillons, Ben F. Laposky, 1952-56
© NOOSPHE.RE
Ces images ne sont non sans rappeler le travail du photographe Eadweard Muybridge sur la décomposition du mouvement, ainsi que les photographies réalisées avec un stroboscope d’Harold Edgerton, quelques années auparavant. Il est intéressant de remarquer que comme pour la photographie, la frontière entre observation scientifique et art est très fine.

img. 10. Cheval et cavalier au galop (détail), Eadweard Muybridge, collotype, 1887. © Domaine Public

img. 11. Golfer, Harold Eugene Edgerton, 1937 © 2022 Estate of Harold Edgerton
Derrière l’appellation « art numérique », nous pouvons parler de toutes les créations réalisées à partir d’outils numériques, comme les illustrations digitales, ou dont le support est numérique : ordinateur, projection vidéo, ou encore la création utilisant des langages de programmation : comme cette œuvre de Vera Molnár, qui est une composition graphique réalisée sur ordinateur par un algorithme.

img. 12. Dialog Between Emotion and Method, Vera Molnár, 1986, art algorithmique
Remarque : Il existe une différence notable dans les images numériques, la différence entre les images matricielles et les images vectorielles.
Alors que les images matricielles sont plus proches du dessin ; ce sont
les images composées de pixels, donc ce sont comme des touches
de couleur posées les unes à côtés des autres. Les images vectorielles, quant à elles, sont plus proches des mathématiques, car ce sont des images composées de points et de segments calculés par l’ordinateur. Ces images ne gardent leurs propriétés uniquement quand elles sont ouvertes avec des logiciels dédiés.

img. 13. Démonstration des différences entre une image matricielle et une image vectorielle, 2011 © Wikipédia
[7] CAO, DAO : conception et dessin assistés par ordinateur
[8] The Art Cycle, L’art numérique : une vision du futur, 2022
3. Les limites de l’IA
La peur du « grand remplacement »
Les outils numériques se font tous les jours plus nombreux et plus performants. Ces outils ne vont pas devenir indispensables mais sans doute omniprésents. Et, en tant qu’artiste, il vaut certainement mieux savoir s’en servir plutôt que de les rejeter. Bien que nous sommes encore loin du robot humanoïde dominant le monde vendu par le cinéma hollywoodien, ces technologies ont de quoi faire peur. En effet, en moins d’une minute, les IA comme Midjourney, sont capables de créer plusieurs images d’une qualité étonnante [9]
Comme à l’arrivée de la photographie, une question se pose :
Les IA vont-elles remplacer les artistes ?
Voici ce que j’ai obtenu avec Midjourney en entrant
/imagine prompt: my diploma project

88%
61% d’européens ont une opinion favorable de l’IA et des robots, mais 88% d’entre eux pensent qu’il faut toutefois gérer ces technologies avec prudence.
(Eurobarometre 2017, UE à 28) [10]
Dans le cas des IA génératrices d’images, elles peuvent potentiellement être un danger pour les artistes graphiques. Cependant, actuellement elles ne sont pas indépendantes ; elles ne créent pas d’image toutes seules puisqu’elles obéissent à une demande. C’est la précision de cette demande qui va engendrer la qualité de la réponse. Bien qu’il y ait une proportion d’aléatoire (deux individus qui entrent exactement la même demande n’obtiennent pas la même réponse), on ne peut pas vraiment dire que les IA prennent des initiatives. De plus, malgré la précision de certaines images, il y a toujours des erreurs repérables qui permettent de différencier une image IA d’une image réalisée par un humain. Les erreurs récurrentes sont notamment dans les portraits : les pupilles ou encore les mains qui contiennent un nombre de doigts impossible, des erreurs qui ne sont pas commises par des humains.

/imagine prompt: Tavern, commande par Herr Boron, Midjourney, 2022
Malgré la simplicité de la demande (un seul mot), l’IA est capable de produire une image plutôt réaliste et harmonieuse.

Main avec un anneau de perle, commande par Neerajserendipity, Midjourney, 2022

/imagine prompt: headshot portrait of a dwarf warrior woman with red braided hair, photorealistic, cinematic, hyper intricate details, photoshoot, fantasy, twilight, purple, blue, starry sky, cleric, beautiful, natural lighting, beautiful lighting, shot on 70 mm lens, beautifully color graded (détail), commande par Glorioushellboo, Midjourney, 2022
[9] Voir annexe « Fonctionnement de Midjourney », page 40
[10] PARLEMENT EUROPÉEN, Intelligence artificielle : définition et utilisation, 2021
Le droit d’auteur
Quand j’évoque les images générées par IA, la question qui m’est le plus posée est celle du droit d’auteur.
Qui est l’auteur quand l’image a été créée par une machine ? Fin août, nous avons pu voir le cas d’un tableau créé par Midjourney qui a gagné un concours d’art aux États-Unis. Cette nouvelle a provoqué une grande polémique, bien que le tableau ait été proposé dans la catégorie « art numérique » [11]. La législation sur
ce sujet n’est pas encore très claire ; selon les conditions d’utilisation de Midjourney, l’utilisateur détient toutes les œuvres qu’il crée avec le service. Cependant, actuellement la loi a tendance à dire qu’une œuvre qui n’a pas été créée d’une main humaine ne peut pas obtenir de droit d’auteur. À l’instar du « selfie d’un singe »
où un singe s’est emparé de l’appareil du photographe animalier David Slater, ce dernier n’a pas pu obtenir
de droit d’auteur sur ces photos car elles ne sont pas nées de son intention.

img. 14. Théâtre d’opéra spatial
© Jason M. Allen / Midjourney
Un paramètre important à prendre en compte pour répondre à cette question réside dans le processus de création de l’image par l’IA ; sa base de données. En effet, les bases de données sur lesquelles s’entraînent les IA sont composées d’images qui ne sont pas nécessairement libre de droit. C’est ainsi que Midjourney est capable d’imiter le style de certains artistes célèbres. Cela pose la question du plagiat et de l’inspiration, et de la légitimité d’utiliser ces images en tant qu’œuvre.

img. 15. Selfie d’un macaque nègre femelle
(Macaca nigra) © Domaine Public

Une image inspirée par Léonard de Vinci et Iron Man, puis une série basée sur le style d’Alfons Mucha.


Je dis plagiat et inspiration, car bien que le style peut être reconnaissable, l’image générée par IA est originale : ce n’est jamais une copie fidèle d’une œuvre déjà existante [12]. De plus, quand nous même dessinons quelque chose, nous pensons peut-être le sortir de notre esprit, pourtant, nous avons forcément été influencés par des œuvres que nous avons déjà vues. Est-il finalement possible de créer quelque chose de 100% nouveau ? Quand l’IA est entraînée avec des photographies, est-ce comparable à une personne qui s’inspire de la nature ?
Cette question du droit d’auteur reste en suspens aujourd’hui, des éléments de réponses vont arriver dans les mois, voire les années à venir, au fur et à mesure que ces algorithmes se démocratiseront. Pour l’instant la législation aurait tendance à dire que ces images n’ont pas de droit d’auteur, voir que ce droit appartient plutôt aux programmeurs à l’origine de l’algorithme. Cette législation varie bien sûr en fonction des pays. Cependant, sur le site de Midjourney il est inscrit que les images créées sont la propriété de l’utilisateur.
Remarque : Personnellement, je suis plutôt d’avis de dire que ces images n’ont pas de droit d’auteur et qu’il n’est pas possible d’en tirer profit. Pour autant, cette question ne me posera pas problème pour la suite de mon projet car mes images générées ne seront qu’une étape dans mon processus de création et l’œuvre sera le costume.
[11] BFM TECH & CO, « Un tableau créé par une intelligence artificielle fait polémique en gagnant un concours d’art », 5 septembre 2022
[12] Voir annexe « Monsieur Fleur avec Midjourney », page 64
4. Démarche en tant que créateur de costume
En tant que costumier, mais aussi designer, j’ai choisi d’utiliser l’IA Midjourney comme un outil pour élaborer la maquette d’un costume. Pour cela, je vais analyser un personnage dans une pièce, puis je vais en tirer des mots clés. Dans ma démarche, je choisi d’utiliser des mots qui décrivent le personnage en donnant le moins d’indications visuelles possible, c’est-à-dire ni de couleur ni de forme. Je vais sélectionner des mots clés qui caractérisent la personnalité et la psychologie du personnage. L’intérêt sera alors de voir ce que l’IA est capable de produire comme image, et comment je peux transposer cette image en un costume de scène.
Comme une IA est entraînée à partir d’une base de données, elle n’en est que le reflet, et illustre un peu les « stéréotypes » liés à ces données et plus largement à notre société. Par exemple, si dans sa base de données, elle a appris que le mot colère est souvent associé à la couleur rouge, quand je vais lui demander un personnage colérique, elle va sans doute utiliser cette couleur, sans que j’aie à lui écrire explicitement
« rouge ».
J’interviendrai donc à différents niveaux : au début lors du choix de la commande, puis je choisirai les variations possibles quand Midjourney aura créé des images. Peut-être que j’utiliserai une autre IA comme Dall·E qui permet de créer la suite d’une image. Ensuite, il faudra que j’interprète ces images pour les transformer en costume et donc que je les redessine pour avoir une vue de pied et une vue de dos. Enfin, je ferai le choix des matières et des coupes pour la réalisation.
Alegría du Cirque du Soleil
Quand j’ai commencé à réfléchir à quel spectacle je pourrais associer à l’intelligence artificielle, j’ai pensé au Cirque du Soleil. Tout d’abord car le Cirque du Soleil est une entreprise de cirque contemporain qui se renouvèle sans cesse et qui n’a pas peur de travailler avec des nouvelles technologies. Ensuite, parce que le contraste est intéressant entre l’univers chaleureux, magique et particulièrement vivant du cirque, et les IA, dont l’imaginaire collectif tend à penser à des robots froids et distants, voire menaçants.
Puis, j’ai choisi de travailler sur Alegría, un des spectacles les plus connus du Cirque du Soleil, dont la première a eu lieu en 1994 à Montréal. L’univers d’Alegría, qui signifie « joie » en espagnol est une histoire intemporelle de lutte de pouvoir entre un ancien et un nouvel ordre. Le spectacle explore des thèmes classiques comme la quête de pouvoir, la soif de changement et le triomphe de la lumière sur l’obscurité. C’est un monde mystérieux qui foisonne de personnages très excentriques, comme des clowns, des aristocrates, et des « bronxs » des personnages qui représentent la jeunesse et amènent le vent d’espoir et le changement au cœur du royaume.
Remarque : la première d’Alegría a eu lieu le 21 avril 1994 à Montréal à l’occasion des 10 ans de la compagnie. Le Cirque du Soleil l’a revisité à l’occasion des 25 ans du spectacle en 2019. Dans ces deux versions, la costumière est Dominique Lemieux.
(voir annexe « Le Cirque du Soleil », page 58)
Parmi tous ces personnages, j’ai retenu Monsieur Fleur. Guide du monde d’Alegría, il est une sorte de mélange entre un Monsieur Loyal qui fait le lien entre les différentes scènes, et un clown grotesque et énigmatique. Une figure qui, à mon sens, représente bien l’esprit du cirque. Avant même d’avoir cherché des photos du spectacle original, j’ai commencé à faire mes premières images sur Midjourney en me basant sur une description du personnage [13].
.jpg)
/imagine promot: A character from Alegría, Jester, whimsical, jealous, quick-tempered, unpredictable, believing himself king, grotesque, elegant, velvet suit, black hat, jeweled jacket, luminous scepter, guide
Puis, j’ai visionné plusieurs reportages du spectacle de 2019. Le personnage est bien différent des images proposées par l’IA. Monsieur Fleur est le personnage principal, c’est l’ancien fou du roi. Au début du spectacle il s’empare du sceptre et devient le nouveau roi d’Alegría. Sa démarche est vraiment clownesque, liée à son corps déformé ; ventre proéminent, fesses accentuées, dos bossu. Dans la version de 2019, ses cheveux hirsutes et ses sourcils broussailleux lui donnent une apparence plus négligée que dans la première version. Le costume est quant à lui élégant, ses couleurs rouge et noir le rapprochent du Monsieur Loyal. On retrouve deux des cinq figures archétypales du cirque selon Pascal Jacob [14] : le maître de manège et le clown, dérivées du bourgeois pour le premier, et du bouffon pour le deuxième.

img. 16. Monsieur Fleur, costume par Dominique Lemieux
© Photo : Camirand, Cirque du Soleil, 2006

img. 17. Monsieur Fleur, costume par Dominique Lemieux
© Cirque du Soleil, 2019
[13] Voir annexe « Monsieur Fleur avec Midjourney », page 64
[14] Pascal Jacob, Le costume de cirque, dans Les arts du cirque
Conclusion
Les intelligences artificielles sont des outils surprenants et parfois inquiétants à cause de leur inhumanité. Cependant, ces puissants algorithmes ont été écrits d’une main humaine et continuent d’en dépendre. Que ce soit les contenus qu’ils absorbent lors de leur apprentissage, les demandes qui leur sont faites, et enfin les choix, tout dépend des humains qui créent et utilisent ces algorithmes. Même si elles sont loin d’être parfaites, les IA vont se perfectionner dans les années à venir. Néanmoins, concernant les IA génératrices d’images, je pense que ce sont justement ces imperfections et incohérences graphiques qui rendent ces images intéressantes et originales. Enfin, à une ère où la moindre création est monétisée, les IA définissent le paroxysme de la capitalisation de l’art et des images numériques. Elles nous invitent à revenir à cette question d’apparence si simple « qu’est-ce que l’art ? »
Pour mon projet de diplôme j’avais envie d’explorer et expérimenter ce sujet si actuel et controversé. Mélanger ces outils numériques avec un domaine plus artisanal qu’est la création de costume, me semble captivant, si ce n’est nécessaire. Enfin, le Cirque du Soleil a toujours repoussé les limites de la création et de l’innovation. Pour Alegría, un nouveau jour, l’atelier de réalisation de costumes a notamment travaillé avec de l’impression 3D. Et quoi de mieux que l’impression pour passer du numérique au physique ?
Bibliographie
Intelligence artificielle
Ouvrages
CARDON, Dominique, Culture numérique, Éd. Presses De Sciences Po, Paris, 2019, pages 351 à 422.
MIGAYROU, Frédéric, LENGLOIS, Camille, Neurones, les intelligences simulées - Mutations, créations, Catalogue de l’exposition du 26 février au 20 avril 2020, Centre Pompidou, Éd. HYX, Paris, 2020
Articles
ANONYME, « Intelligence artificielle : qu’est-ce que c’est ? », in Futura Sciences [en ligne], publié le 13 août 2020, consulté le 19 septembre 2022,
URL : https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/informatiqueintelligence-artificielle-555/
ANONYME, « Dall-e : Toutes ces images qui circulent sur l’internet n'ont pas de droit de propriété intellectuelle », in Contre Point [en ligne], publié en septembre 2022, consulté le 15 octobre 2022,
ANONYME, « Test de Turing – Un test pour mesurer l’intelligence artificielle », in Intelligence artificielle.com [en ligne], publié le 29 mai 2022, consulté le 11 novembre 2022,
URL : https://intelligence-artificielle.com/test-de-turing/
CAYUELA, Mahé, « Ada Lovelace, pionnière de l’informatique », in Potiches [en ligne], publié le 10 septembre 2020, consulté le 11 novembre 2022,
URL : https://lespotiches.com/portraits/effacees/ada-lovelace-pionniere-informatique/
COLTEL, Mélanie, « La technologie est-elle au service de l’art ? », in Wild Code School [en ligne], publié le 22 mars 2021, consulté le 11 novembre 2022,
COMMISSION NATIONALE DE L’INFORMATIQUE ET DES LIBERTES, Intelligence artificielle, de quoi parle-t-on ?, publié le 5 avril 2022, consulté le 19 septembre 2022,
URL : https://www.cnil.fr/fr/intelligence-artificielle/intelligence-artificiellede-quoi-parle-t-on
BEURNEZ, Victoria, « Un tableau créé par une intelligence artificielle fait polémique en gagnant un concours d’art », in BFM Tech & Co [en ligne], publié et consulté le 5 septembre 2022,
GEVART, Louis, « La camera obscura : le secret de Vermeer ? », in Beaux Arts [en ligne], publié le 12 décembre 2019, consulté le 12 novembre 2022,
URL : https://www.beauxarts.com/grand-format/ep-1-camera-obscura-lesecret-de-vermeer/
GEVART, Louis, « Aux origines de la photographie : une folle course à l’innovation», in Beaux Arts [en ligne], publié le 9 janvier 2020, consulté le 12 novembre 2022,
L., Bastien, « MidJourney : tout savoir sur l’IA qui choque les artistes et transforme vos textes en dessins », in Le Big Data [en ligne], publié le 12 août 2022, consulté le 23 septembre 2022,
MANYARI, Flavia, « L’art numérique : une vision du futur », in The Art Cycle [en ligne], publié le 6 janvier 2022, consulté le 3 octobre 2022, URL : https://www.theartcycle.fr/blog/art-numerique.html
PARLEMENT EUROPÉEN, Intelligence artificielle : définition et utilisation, publié le 7 septembre 2020, mis à jour le 29 mars 2021, consulté le 11novembre 2022,
SAMSON, Amélie, Theseus Game, mémoire de diplôme national supérieur d’expression plastique mention design des communs [en ligne], ÉSAD Orléans, juin 2021, consulté le 6 novembre 2022,
URL : http://theseusgame.fr
TRENTINI, Bruno, « Peut-on parler d’« art numérique » ? », in Le Point [en ligne], publié le 14 janvier 2017, consulté le 3 octobre 2022,
URL : https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/peut-on-parler-d-artnumerique-14-01-2017-2097144_47.php
Vidéos, documentaires
ANADOL, Refik, Art in the age of machine intelligence, diffusée en 2020, visionnée le 9 novembre 2022, URL : www.ted.com/talks/refik_anadol_art_in_the_age_ of_machine_intelligence
ARS TECHNICA, Sunspring | A Sci-Fi Short Film Starring Thomas Middleditch, Youtube, diffusé le 9 juin 2016, visionné le 13 novembre 2022, URL : https:// www.youtube.com/watch?v=LY7x2Ihqjmc
HELIOCAST, Quid de l’éthique dans la création via IA - La Superthèque d’Ator (REPLAY TWITCH), YouTube, diffusée le 12 octobre 2022, visionnée le 2 novembre 2022,
URL : https://www.youtube.com/watch?v=gpmSFUwvBoY
JOYCA, Voici le vrai futur ! (et on le teste), Youtube, diffusée le 30 octobre 2022, visionnée le 7 novembre 2022, URL : https://www.youtube.com/ watch?v=vmJR4Lyk1Pg
Cirque
Ouvrages
HIVERNAT, Pierre, KLEIN, Véronique, Panorama contemporain des Arts du cirque, Éd. Textuel, Paris, 2010, pages 9 à 24 et pages 221 à 225.
DELOBBE, Karine, Le Cirque, Éd. PEMF, Mouans-Sartoux, 2001, 32 pages.
JACOB, Pascal, Le cirque : un art à la croisé des chemins, Éd. Gallimard, Paris, 2001, 159 pages.
Articles
GENDRON-MARTIN, Raphaël, « Cirque du Soleil: dans les coulisses d’Alegría », in Le Journal de Montréal [en ligne], publié le 16 mars 2019, consulté le 24 novembre 2022, URL : https://www.journaldemontreal.com/2019/03/16/dans-lescoulisses-dalegria
JACOB, Pascal, « Le costume de cirque », in Les arts du cirque [en ligne], consulté le 16 novembre 2022, URL : https://cirque-cnac.bnf.fr/fr/esthetiques/le-costumede-cirque
MCNALLY, Andrew, Le nouveau « Alegria », in Le Journal de Montréal [en ligne], publié le 15 juin 2019, consulté le 17 novembre 2022, URL : https://www. journaldemontreal.com/2019/06/15/le-nouveau-alegria
ROUILLIER, Claudine, « Alegria du Cirque du Soleil : un retour en force éblouissant ! (PHOTOS) », in Nightlife.CA [en ligne], publié le 26 avril 2019, consulté le 17 novembre 2022, URL : https://nightlife.ca/2019/04/26/alegria-ducirque-du-soleil-un-retour-en-force-eblouissant-photos/
Vidéos, documentaires
CIRQUE DU SOLEIL, Spotlight On Alegria | Cirque Du Soleil, YouTube, diffusée le 13 novembre 2020, visionnée le 4 septembre 2022, URL : https://www.youtube.com/watch?v=5y5_VyEwZhc
CIRQUE DU SOLEIL, 60-MINUTE SPECIAL #3 | Cirque du Soleil | Alegría, Kooza, KÀ, YouTube, diffusée le 10 avril 2020, visionnée le 15 octobre 2022,
URL : https://www.youtube.com/watch?v=VL0TG_nCqzE
CIRQUE DU SOLEIL, The Transformation of Alegria’s Unforgettable Costumes ✂| Behind the Scenes with Cirque du Soleil, YouTube, diffusée le 24 avril 2019, visionnée le 7 novembre 2022,
URL : https://www.youtube.com/ watch?v=H4C0Icoc4Gg
CIRQUE DU SOLEIL, ALEGRIA - The Story Behind The Costumes and Makeup | Official Series: A Wind Of Change, YouTube, diffusée le 31 décembre 2019, visionnée le 24 novembre 2022,
URL : https://www.youtube.com/ watch?v=NROglQ_p0bg
LOTTO, Beau, et Cirque du Soleil, How we experience awe -- and why it matters, Ted, diffusée en 2019, visionné le 9 novembre 2022,
URL : https://www.ted.com/talks/beau_lotto_and_cirque_du_soleil_how_we_ experience_awe_and_why_it_matters?subtitle=fr